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TUEUSES

DE CINQ À SEPT

Comédie policière

totalement amorale.

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Musique de scène:

Marche funèbre d'une marionnette.

Charles Gounod

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Théâtre de la Flûte enchantée Bruxelles

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INTRIGUE

Trois femmes d'âge indéterminé, certes plus tout à fait jeunes, mais néanmoins, disons-le, fort accortes, ont quelques difficultés à finir le mois.

Après mûres réflexions, elles trouvent enfin la bonne idée. Elles fondent l'ARPPAM, "Agence de Rencontre pour Personnes d'Âge mûr".

Elles reçoivent des "clients" esseulés, leur présentent l'une d'elle, leur soutirent un accompte et, pour fêter ça, leur offrent un verre de porto et des amarettis. Ah ! Un détail: le porto et les amarettis sont empoisonnés au cyanure de potassium.

Les clients rendent une âme, qui, avouons-le, ne servait plus à grand chose et sont installés, en bonne compagnie, dans la cave.

Cinq messieurs se succèdent...

Les cinq personnages masculins peuvent être joués par le même acteur, à condition qu'il aime les rôles de composition, ou par 2, 3, 4 ou 5 comédiens.

PERSONNAGES

Manon : célibataire au caractère bien affirmé et particulièrement bien armée pour séduire ou amorcer la clientèle.

 

Flora : veuve, assistante du professeur de chimie analytique de l'Université voisine, spécialiste des poisons en tous genres. À part cela, charmante et préoccupée par le désir de bien faire.

 

Juliette : professeur de littérature et de philosophie, divorcée de Georges, spécialiste du syllogisme:

"Georges est un homme,

Or, c'est un salopard,

Donc, tous les hommes sont des salopards."

[Il y a une erreur dans le raisonnement de Juliette, mais où ?]

 

René : un timide compulsif, complètement coincé.

 

Le Vieux : un vieillard libidineux.

 

Georges : l'ancien mari de Juliette qui va de surprise en surprise.

 

Roger : le frère jumeau de René et cependant, son contraire, hautement

mysogyne au point d'en être détestable.

 

l'Homme : brut de décoffrage, voire carrément vulgaire. Mais... que fait-il là ?

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EXTRAIT

Scène 5 [Manon, Flora, Juliette, le Vieux]

Juliette est sur scène. Le Vieux entre précédé de Flora. Il a un bonnet enfoncé sur le crâne. On ne sait pas trop s’il est gâteux ou très fatigué.

Flora :

- Entrez, entrez ! Et bien, dites donc, on a de la peine à progresser, mon pauvre Monsieur.


Le Vieux :

- À mon âge, on est déjà content de pouvoir aller d’ici à là, sans aide et d’une seule traite.

Flora sort.

Juliette :

- À propos d’âge, quel est le vôtre ?

Le Vieux s’approche de Juliette et lui dit son âge à l’oreille. Juliette sort un mouchoir pour s’essuyer.

Juliette :


- Ah ! Tout de même ! Mais, je vous aurais donné plus, voyez-vous. Allez ! On va s’asseoir. On remue ses rotules. Une, deux. Une, deux. On pose son popotin sur le fauteuil et on recule doucement son dos. Voilà !


Le Vieux :

- Je ne suis pas encore impotent.

Juliette :
 

- On dit ça, on dit ça et tout d’un coup… « zvouit » ! Je rigole. Qui vous a amené ?

 

Le Vieux :
 

- Personne.

 

Juliette :
 

- Vous n’allez pas me faire croire que vous êtes venu tout seul ?

 

Le Vieux  :
 

- Tout seul. Remarquez que ça m’a pris un sacré bout de temps… De toute façon, je n’ai personne pour m’aider. Ah, la vie n’est pas toujours gaie, ma bonne dame. Pas de femme, pas d’enfants, aucune famille, des voisins qui ne savent même plus si j’existe encore.

 

Juliette: 
 

- Vous êtes extraordinaire.

 

Le Vieux :
 

- Vous trouvez ?

 

Juliette :
 

- Vous répondez aux questions avant qu’on ne vous les pose.

 

Le Vieux :
 

- Ah bon ?... J’ai un peu d’argent de côté…

 

Juliette :
 

- Dont cinq cents euros dans votre poche.

 

Le Vieux :
 

- Comment le savez-vous ?

 

Juliette :
 

- Une intuition.

 

Le Vieux :
 

- … un peu d’argent de côté, mais cela ne suffit pas pour égayer ses vieux jours. [Il s’échauffe] Parce que, Madame, il n’y a pas que les sous dans la vie. On a aussi besoin d’un peu de chaleur humaine et puis, avoir quelqu’un qui vous fait les courses, la lessive et le reste… [égrillard] surtout le reste, hi, hi, hi ! [Se levant] Alors, je me suis dit : avec un petit capital, on doit pouvoir s’acheter… et hop, je tombe sur votre annonce… au propre comme au figuré. J’étais tout remonté, je me suis pris un pied dans le tapis et zou, la tête en avant sur l’ordinateur, le nez collé à votre annonce.

 

Juliette :
 

- Le hasard fait bien les choses. Aimez-vous le porto ?

 

Le Vieux :
 

- Hein ?

 

Juliette :
 

- Aimez-vous le porto ?

 

Le Vieux :
 

- Pourquoi ?

 

Juliette :
 

- Parce que nous avons l’habitude d’en offrir à nos clients quand l’affaire est conclue.

Le Vieux :
 

- Charmante coutume.

Juliette :

- [montrant le bonnet] Vous ne voulez pas ôter…

Le Vieux fait signe à Juliette de s’approcher.

 

Le Vieux :
 

- [discrètement] Je ne peux pas.

 

Juliette :
 

- Vous ne pouvez pas enlever votre bonnet ?

 

Le Vieux :
 

- Non !

 

Juliette :
 

- Pourtant, il fait assez chaud.

 

Le Vieux :
 

- [même jeu] Je suis chauve et, ce matin, j’ai eu un mouvement de tête un peu brusque. Ma moumoute est tombée dans le porridge. Pas eu le temps de la nettoyer.

Manon entre.

 

Le Vieux :
 

- Tudieu, la belle plante !

 

Juliette :
 

- Je vous demande pardon ?

 

Le Vieux :
 

- [à Juliette] Elle fait partie du cheptel ?

 

Juliette :
 

- Heu… si vous voulez.

 

Le Vieux :
 

- Un peu que je veux. Remarquez que vous n’êtes pas mal non plus. Ça ne va pas être facile de choisir.

 

Manon :
 

- [à Juliette] Qu’est-ce qui se passe ?

 

Juliette :
 

- Il dresse l’inventaire de la marchandise.

 

Manon :
 

- C’est agréable !

Flora entre et observe la scène.

Juliette :
 

- Nous pourrions jouer à pile ou face.

 

Le Vieux :
 

- Non, non, non ! Il ne faut pas se fier au sort. Je vais quand même la garder quelques années. À ce propos, vous ne pratiquez pas le leasing ?

 

Juliette :
 

- Pour cinq cents euros ?

 

Le Vieux :

- Je préférerais les placer ailleurs.

 

Juliette :
 

- En ce moment, ce n’est pas une bonne idée.

 

Le Vieux :
 

- Vous avez peut-être raison.

 

Juliette :
 

- Alors… laquelle choisissez-vous ?

 

Le Vieux :
 

- Je souhaiterais me former une idée plus précise. Pas facile, d’ailleurs. Vous avez à peu près la même taille… moyenne, les visages assez identiques, sans expression particulière.

 

Juliette :
 

- Non mais, dites donc !

 

Le Vieux :
 

- J’aimerais que vous vous déplaciez pour évaluer la souplesse de vos échines.

 

Manon :
 

- Ça ne va pas ? Nous ne sommes pas des bestiaux.

 

Le Vieux :
 

- Dans les ventes aux enchères de bovins, on les astreint toujours à marcher devant les acheteurs.

 

Juliette :
 

- Je ne me prêterai pas à ces caprices de… de je ne sais quoi.

 

Flora :
 

- [à Manon et à Juliette] On ne vous en demande pas tant que ça ! Vous pourriez vous montrer compréhensives. Juste une fois.

 

Manon :
 

- Bon ! Une fois ! Et après… le porto.


 

Manon et Juliette traversent la scène.

 

Le Vieux :
 

- Il me semble que celle de gauche a une raideur dans la jambe droite.

 

Flora :
 

- Mais non.

 

Le Vieux :
 

- Je vous assure : une nette raideur dans la jambe droite. Qu’elles repassent une nouvelle fois !

 

Flora :
 

- Mesdames !

 

Juliette :
 

- Ah non !

 

Manon :
 

- Rien du tout !

 

Flora :
 

- [à Manon et Juliette] Cinq cents euros !


 

Manon et Juliette traversent dans l’autre sens de très mauvaise grâce.

 

Le Vieux :
 

- [semblant ravi de trouver un défaut] Hé ! L’autre a la nuque gourde.

 

Juliette :
 

- [à part] Gourde, vous-même.

 

Flora :
 

- [au Vieux] Vous exagérez.

 

Le Vieux :
 

- Pas du tout ! La nuque gourde, engourdie, ankylosée. Quant à la première, elle a l’air assez godiche.

 

Manon :
 

- Moi ? Godiche ?

 

Le Vieux :
 

- [à Flora] Pourrait-elle se taire ? Ces commentaires sont déplaisants.

 

Flora :
 

- Mesdames, mettez-y un peu de cœur et… en silence, je vous prie. On remet ça.

Troisième passage. Elles chaloupent fortement.

 

Le Vieux :
 

 - Je dois reconnaître que c’est mieux.

 

Flora :
 

- Il faut maintenant vous décider.

 

Le Vieux :
 

- Difficile. Aucune ne sort du lot. C’est vraiment du second choix.

 

Juliette :
 

- [à Manon] Je vais lui apprendre à vivre, moi, à ce bouseux.

 

Manon :
 

- [à Juliette] On ne peut pas lui enfourner le porto avec un entonnoir.

 

Le Vieux :
 

- Non… décidément… [À Flora] Par contre vous…

 

Flora :
 

- Moi ?

 

Le Vieux :
 

- Pourriez-vous avancer de quelques pas ?

Flora s’exécute.

 

Le Vieux :
 

- On note une certaine distinction, malgré un ensemble assez rigide. Franchement, je préfère. Les autres ne font pas le poids.

 

Flora :
 

- [féroce] Qu’est-ce que vous sous-entendez par « les autres ne font pas le poids » ?

 

Le Vieux :
 

- Heu… rien.

 

Flora :
 

- [même jeu] Que moi, je le fais, le poids, et plus qu’à mon tour ?

 

Manon :
 

- [rigolant] De hanches… tour de hanches.

 

Le Vieux :
 

- Pas du tout ! Si l’on vous compare aux deux autres grognasses, vous les dépassez nettement.

 

Flora :
 

- Je les dépasse en grognasserie ?

 

Le Vieux :
 

- Mais non ! Où allez-vous chercher ça ? Vous les surpassez en raffinement, en classe, en élégance, en délicatesse.

 

Flora :
 

- [faussement féroce] En délicatesse, vous êtes sûr ?

 

Juliette :
 

- [à part, à Manon] De quoi nous a-t-il qualifiées ?

 

Manon :
 

- De grognasses.


 

Juliette :

 

- [hors d’elle] Le porto !

 

Le Vieux :
 

- [à Flora] Votre copine, elle ne serait pas un rien pochtronne ? Quel est votre petit nom, déjà ?

 

Flora :
 

- Flora.

 

Le Vieux :
 

- Non ?

 

Flora:
 

- Je puis vous l’assurer.

 

Le Vieux :
 

- C’est extraordinaire.

 

Manon :
 

- Il n’y a là rien d’extravagant, j’en connais au moins trois.

 

Le Vieux :
 

- Flora, c’était le prénom de ma grand-mère.

 

Flora :
 

- Ah bon ?

 

Le Vieux :
 

- Quand je vous regarde, je crois la voir devant moi. Remarquez que je l’ai peu connue, elle est morte très âgée quand j’étais un petit enfant.

 

Flora :
 

- Vous savez vraiment parler aux femmes, vous.

 

Juliette :
 

- Alors, vous vous décidez ?

 

Le Vieux :
 

- Je ne traite pas avec les alcooliques.

 

Manon :
 

- Soyons sérieux. Vous vous intéressez à Flora, non ?

Le Vieux :

- Je ne le conteste pas.

Manon :
 

- Alors, allez-y ! Vous sortez vos cinq cents euros, vous avalez un petit porto…

 

Le Vieux :
 

- Décidément, c’est une manie.

Manon :
 

- Non, c’est une tradition. Vous n’avez rien contre les traditions ?

 

Le Vieux :
 

- Oh non !

 

Manon :
 

- Flora, peux-tu aller chercher le plateau ?

 

Le Vieux :
 

- Ah non !

 

Manon :
 

- Quoi non ?

 

Le Vieux :
 

- Je ne veux pas qu’elle me quitte. Que l’autre feignasse, là, aille le chercher, le plateau.

 

Juliette :
 

- Comment… qu’il a dit ?

 

Manon :
 

- Calme-toi et vas-y.

Juliette sort en maugréant.

 

Le Vieux :
 

- [à Manon, sur le ton de la confidence] J’ai quelque chose à vous demander.

 

Manon :
 

- Faites.

 

Le Vieux :
 

- [montrant Flora] Vous croyez que je peux l’appeler « ma caille » ?

 

Manon :
 

- Appelez-la comme vous voulez… pour le temps qui reste…

 

Le Vieux :
 

- Le temps qui reste ?

 

Manon :
 

- Heu… pour le reste du temps.

Juliette entre avec le plateau. Flora sert pendant les répliques suivantes.

Juliette :

- Un amaretto ?

 

Le Vieux :
 

- Non merci.

 

Juliette :
 

- Vous allez prendre un amaretto.

 

Le Vieux :
 

- Non… mes dents, encore que… quand je dis « mes dents »…, c’est assez présomptueux.

 

Manon :
 

- Votre caille les apprête elle-même.

 

Le Vieux :
 

- Dans ce cas, vivons dangereusement.

Le Vieux mord avec peine dans son amaretto.

Le Vieux :
 

- Je crains que mon dentier…

 

Juliette :
 

- [cynique] Il a fait son temps.

 

Le Vieux :
 

- Qui ?

 

Juliette :
 

- Le dentier.

 

Manon :
 

- Allez ! Un… deux… trois.


Le Vieux prend un morceau et le mâche avec difficulté.

 

Le Vieux :
 

- Ch’est achez dur.

 

Manon :
 

- Vous risquez de la vexer.

 

Flora :
 

- Bon ! Une bonne rasade de porto pour ramollir tout ça.


 

Le Vieux porte le verre à sa bouche en tremblant et le renverse.

 

Juliette :
 

- En plus, il a la tremblote.

 

Flora :
 

- Maintenant, il faut que j’en prépare un autre.

Le Vieux :

- Je suis désolé.

 

Manon :
 

- Mon Dieu ! Nous oublions les euros. Posez-les là !

 

Le Vieux :
 

- Voilà !


 

Flora donne un autre verre au Vieux qui a toujours autant de peine à l’approcher de ses lèvres. Les trois femmes, inquiètes, se penchent sur lui.

 

Manon :
 

- Parkinson ?

 

Le Vieux :
 

- Pas du tout !... L’émotion !

 

Juliette :
 

- Il n’y arrivera jamais. Aidons-le. [Au Vieux] Permettez !


 

Juliette lui lève le bras et l’aide à boire.

 

Le Vieux :
 

- C’est très am…[er].


 

Le Vieux s’affaisse.

 

Manon :
 

- Évidemment, la résistance diminue avec l’âge.

 

Juliette :
 

- Zou ! À la cave !


 

Noir.

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